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Premier amour

Friderike

"Soirée avec F. von W. Cette fois-ci encore, c'est très beau, mais je dois prendre garde que nous ne tombions pas entièrement dans l'érotisme, ce qui menace en fait de se produire. Nos promenades sont très belles et nous avons d'excellentes conversations : peut-être tout l'art consiste-t-il à se faire entendre. Les femmes ont le pouvoir de tout comprendre, de se faire tout expliquer clairement, la question est de savoir si cela peut durer, si cette compréhension ne va pas se brouiller et s'assombrir très vite. Elle est si délicate que l'on craint de l'étouffer sous la tendresse ou quelque autre sentiment. La prochaine fois, je veux lui donner à entendre que nous perdons trop. Il m'est apparu récemment, étrange et fondamental, le problème de la féminité et de la virilité. Chez nous : le plaisir avant-coureur, donc le marasme qui succède à la jouissance ; chez elles : le plaisir rétrospectif par manque d'imagination. Les femmes vivent dans le passé, nous autres dans l'avenir, c'est pourquoi elles ont en général plus de mémoire que nous."

Stefan Zweig, Journal, 21 décembre 1912 -- A gauche : Friderike Maria von Winternitz, née Burger (1882-1971), première femme de Stefan Zweig, en 1920