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"Du 21 août [1940], date de son arrivée au Brésil, et pendant une année, sa vie n'est qu'une succession d'étapes, sans projet à long terme, sans vue d'ensemble, sous le signe de l'errance. Nul paysage ne parvient à le retenir, aucun peuple n'adoucit sa souffrance. Il est partout malheureux. Ses voyages ne font plus naître comme avant-guerre l'émerveillement dans le coeur curieux et enthousiaste qui trouvait remède à son mal de vivre dans ses déplacements innombrables, source de tant de joies et de rencontres, si toniques à son oeuvre ! Il en subit maintenant la fatigue et les désagréments, traînant avec lui le poids de ses tristesses. Les voyages accusent son inquiétude, sa lassitude, sans le délivrer de rien. Le touriste éclairé n'est plus qu'un sans-patrie qui a perdu ses repères et ses lumières et avance dans le vide, l'esprit morose et angoissé. Derrière lui, ombre de son ombre, la haute et maigre silhouette de Lotte qui, à trente ans, l'allure lente et le souffle court d'une vieille femme, prolonge son malaise. Au lieu de le ragaillardir, le jeune épouse est un poids. Silencieuse et dévouée, émouvante par son amour, elle a en elle quelque chose de lourd, c'est une femme qui aime être portée. Elle n'a aucune initiative, la jeunesse, l'entrain, la gaieté lui font défaut. Compagne fidèle et soumise, la mélancolie est dans sa nature. Epuisée par l'asthme, apathique autant qu'effacée devant Zweig, elle ralentit son allure, devient une charge sur son épaule alourdie d'autres souffrances. On dirait que le destin lui a choisi cette femme, malchanceuse et guère réconfortante, pour lui rappeler à chaque instant sa condition et sa tristesse." |