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L'exil

Stefan Zweig

"Ma petite intelligence m'a fait quitter l'Autriche aussi bien que l'Angleterre, laissant derrière moi tout ce qui était possession, et même le manuscrit d'un livre à moitié achevé depuis des années. Accueilli et chassé aussitôt, j'erre maintenant avec un visa de transit en Amérique du Sud pour des tournées de conférences, ce que je n'aime pas. Est-ce que je pourrai revenir ? Y serai-je autorisé, le voudrai-je ? Mais je ne me pose plus la question, je me laisse entraîner, animé par la seule pensée de ne pas tomber entre les mains de ces canailles brunes - c'est la seule peur que j'ai encore dans ma vie, les autres ont disparu. Il y a longtemps que je me tenais à l'écart, renonçant à toute fréquentation, heureux du seul commerce de mes livres et de mon jardin, maintenant il faut continuer à vagabonder, et pour tout travail je me raconte (et plus tard à d'autres) ma vie, celle d'un Européen et d'un Juif dans cette époque."

Stefan Zweig, Lettre à Richard Beer-Hoffmann, 11 juillet 1940.