"Je suis souvent un peu fatigué de la littérature ; encore un livre et encore un et la vie passe, la jeunesse disparaît et on écrit de plus en plus de livres ! Quand on a prouvé que l'on pouvait écrire de bons livres, manque alors l'heureuse excitation et tout n'est plus alors qu'affaire de métier. Mon cher, cela fait vingt-cinq ans, un quart de siècle, que j'ai publié mes premiers vers, et au fond de mon âme, je trouverais plaisir à laisser l'activité d'écriture de côté et à voyager. Mais le succès, le "devoir" devient une chaîne, une chaîne dorée, si tu veux - une joie pour les autres, mais moi (tu me connais), qui n'ai pas un sou d'ambition ni de fierté, j'ai la nostalgie de ma vie passée, anonyme, aventureuse, inconstante et insouciante. De tous les auteurs que je connais je suis peut-être celui qui exècre le plus son soi-disant succès. Je crois que le succès gâte la vie et le caractère et la vie anonyme est la seule vraie [...] Tu es l'un des rares qui me comprennent."
"Stefan Zweig aimait les femmes, il les vénérait, il parlait volontiers d'elles, mais "in the flesh" - il n'y a pas d'expression équivalente en allemand - il s'écartait souvent d'elles. Quand il venait prendre le thé chez moi, à Henndorf, et que ma femme ou une amie voulait nous tenir compagnie, il devenait légèrement nerveux, il ne s'engageait pas vraiment dans la conversation, il déclinait poliment quand on voulait lui proposer ou lui servir quelque chose, si bien qu'on finissait par nous laisser seuls : aussitôt il refaisait surface et donnait libre cours, entre hommes, à un art de la conversation intense et passionnant. Il prenait plaisir, avec des clignements d'yeux entendus, à laisser tomber quelque anecdote relatant des expériences érotiques, pour lesquelles toutefois il n'avait jamais le temps [...] Un jour, après une conversation de ce genre, ma femme me demanda : "Qu'est-ce que Stefan t'a raconté de passionnant ? - Les derniers potins de la Révolution française", dis-je. Il travaillait à cette époque sur son Marie-Antoinette et savait tout sur la syphilis, la vérole ou la gonorrhée des acteurs, avec autant de précision que s'il avait été autrefois médecin au faubourg Saint-Germain."